Critique, réalisateur et encyclopédie vivante, Bertrand Tavernier est un des monuments du cinéma actuel. Né en 1941 à Lyon, il n’est pas arrivé à la culture par hasard. Il est le fils de l’écrivain et résistant lyonnais
René Tavernier, qui n’hésita pas à publier, clandestinement parfois, de formidables plumes progressistes tels Eluard ou Aragon. Oui,
Bertrand Tavernier a de qui tenir.
Juste retour d’ascenseur, on raconte que c’est Louis Aragon qui lui ouvre les portes du grand public en lui donnant l’occasion de rédiger un article sur
Pierrot le fou de
Jean-Luc Godard. Comme critique, Bertrand Tavernier collabore aussi dans les années 60 à plusieurs revues prestigieuses :
Les Cahiers du cinéma, Cinéma, Positif, Présence du cinéma, etc. Avec passion, il dévore et analyse cet art qu’il a bien l’intention de pratiquer. Ses opinions sont tranchées et ses revendications franches. Elles s’inscrivent souvent en opposition avec l’air du temps.
C’est comme assistant de
Jean-Pierre Melville qu’il débute sur les plateaux dans
Léon Morin, prêtre. Il signe ensuite des sketches dans des films choraux et réalise en 1974 son premier long métrage en solo,
L’Horloger de Saint-Paul (photo ci-dessus) avec
Philippe Noiret (un futur fidèle) et
Jean Rochefort. L’oeuvre décroche le Prix Louis-Delluc et l’Ours d’argent à Berlin. C’est parti !
Bertrand Tavernier enchaîne alors les classiques qui marqueront non seulement leur époque, mais surtout l’histoire du cinéma :
Que la fête commence..., Le Juge et l’assassin, Coup de torchon, Un dimanche à la campagne, Autour de Minuit, L.627, L’Appât (avec
Marie Gillain, photo ci-dessous),
Capitaine Conan (photo ci-dessus), Ca commence aujourd’hui ou
Dans la brume électrique, sa grande aventure américaine avec un éblouissant
Tommy Lee Jones.
Le credo de Bertrand Tavernier a toujours été de redonner toute son importance à une narration fluide et efficace malmenée à la fin des années 50. Pour ses films, il fait ainsi appel à de fameux scénaristes et dialoguistes qui ne sont plus à la mode comme Jean Aurenche et Pierre Bost. Pendant toute sa carrière, son goût pour le romanesque et le spectaculaire le porte parfois vers les films classiques en costumes, mais il ne s’éloigne jamais vraiment des préoccupations contemporaines : son art s’enracine dans notre société, dérange et gifle le spectateur sans vergogne.
Quand on scrute sa filmographie, quelques grandes lignes de force sautent aux yeux : il hait l’injustice, s’élève contre les guerres, toute forme de racisme, l’esprit colonialiste et, bien sûr, la peine de mort. Au fil du temps, il est de plus en plus attentif aux conséquences de nos dérives : délinquance, violence, chômage, misères physique et affective, drogue, sida se retrouvent au centre de ses films. Passionné par la défense d’un cinéma français solide, original et indépendant, il est néanmoins fasciné par le cinéma nord-américain.
Sa curiosité dépasse largement le cadre d’une cinéphilie d’apparat : il est considéré par tous comme un puits de connaissances cinématographiques et sa rencontre avec un Quentin Tarantino, heureux comme un gosse, publiée dans le magazine
Brazil, restera dans les annales de la cinéphilie enthousiaste.
Entre ses longs métrages de fiction,
Bertrand Tavernier n’hésite pas à développer un propos très revendicatif dans des essais et documentaires : on lui doit notamment un témoignage sur la double peine, signé avec son fils Nils, acteur et réalisateur. Chantre de la collaboration familiale, il a coécrit avec sa fille, la romancière Tiffany le formidable
Holy Lola (2004, photo de tournage ci-dessus) portrait d’un couple en quête d’adoption au Cambodge.
Même s’il incarne aussi une volonté d’ouverture, le choix de Bertrand Tavernier ne s’est pas opéré par hasard. Que cette sommité accepte de présider une manifestation encore jeune souligne plus que de longs discours son intérêt et la valeur de notre cinéma. L’initiative est donc pertinente. Les Magritte en brillent davantage.