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Les Magritte du Cinéma
13e édition - 9 mars 2024

11 janvier 2013 - 08:05:34

Yolande Moreau : Madame la Présidente

Pour assurer la présidence de la 3e cérémonie des Magritte du cinéma, l’Académie André Delvaux s’est trouvé une grande dame. Une personnalité charismatique, généreuse, talentueuse. L’incarnation de l’identité belge et de notre cinéma puisqu’elle cumule à la fois le talent, l’ouverture d’esprit, la bonhomie, qu’elle peut être drôle ou tragique, émouvante ou désopilante.
Une femme qui tout en étant une star en France, a toujours revendiqué son identité et ses origines.
Mesdames et messieurs, dames en heren, please welcome madame Yolande Moreau.
Yolande Moreau est, une formidable artiste. Presque un mythe. Son statut, elle le doit à sa gouaille, à son incroyable capacité à distiller des sentiments d’une profondeur dont peu sont capables. A son talent (inné?) à faire hurler de rire toute une salle par une seule réflexion bien sentie, mélange de bon sens populaire et de dialectique mutine.

Yolande Moreau, bien sûr, n’a peur de rien lorsqu’il s’agit d’interpréter des personnages complexes, en rupture, des personnalités bizarres, à la marge. Mais dans la vie, tous ceux qui l’ont rencontrée louent unanimement son incroyable modestie qui confine à la timidité; sa gentillesse aussi. Le strass et les paillettes très peu pour elle. L’Académie Delvaux ne pourra donc jamais assez la remercier de présider une soirée comme celle-ci.

Belge parmi les Belges, essence de notre identité, cette Bruxelloise a grandi à Woluwe-Saint-Lambert. Elle est la fille d’un Wallon et d’une Flamande. Élevée en français, elle peut disserter dans la langue de Jan Decleir.


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Éprise de liberté, elle quitte école et famille sans terminer ses études secondaires. Elle a 18 ans, n’aime pas l’enseignement obligatoire, mais est passionnée par la culture : elle adore la peinture moderne, la poésie, surtout Rimbaud et Maeterlinck, la musique aussi. Elle prend des cours de diction, fait un peu de théâtre. Touche à tout, elle dévore la vie. Durant ces folles années 70, cette hippie bon teint met deux bébés au monde et joue dans des spectacles pour la jeunesse avec le théâtre de la ville de Bruxelles.

Son premier grand choc, elle le doit à Zouc. Quand elle voit sur les planches cette comédienne suisse déjantée, elle décide que c’est ça qu’elle veut faire. Être. Elle rejoint donc l’école Jacques Lecoq de Paris, un lieu mythique qui a également permis à Abel et Gordon de trouver leur voie... Ce n’est pas un hasard: comme Fiona et Dominique, Yolande mise beaucoup sur le corps. Avant d’utiliser le langage oral, elle raconte ses histoires avec des gestes, des expressions, des attitudes. Elle se priverait volontiers de mots, car ses mouvements et ses mimiques suffisent à exprimer ses sentiments.


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En 1982, Yolande Moreau aborde un nouveau registre: elle écrit et interprète Sale affaire, du sexe et du crime, un one-woman-show dans lequel une femme vient de tuer son amant. Ce spectacle qu’elle rejouera en 2008, à l’occasion du Festival de la bande dessinée d’Angoulême, sera récompensé au festival de Rochefort par le Grand prix du rire: la mécanique est enclenchée. Plus rien ne stoppera son élan. D’autant qu’Agnès Varda la remarque sur scène. Conquise, elle lui offre un rôle dans un court-métrage, puis l’engage pour Sans toit ni Loi (1985).

La carrière de Yolande Moreau est lancée. Elle ne va faire que s’embellir. En 1989, cette passionnante actrice déjà atypique se découvre une nouvelle famille, la troupe de Jérôme Deschamps et Macha Makeieff. Avec eux, elle brûle les planches, puis rencontre le grand public grâce aux Deschiens qui lui permettent d’affirmer un profil unique : décalé, irrésistiblement drôle, populaire et poétique. Parallèlement à ses nombreuses apparitions sur le petit écran, elle multiplie des rôles secondaires au cinéma. Secondaires, mais marquants, souvent comiques. On se souvient d’elle dans Le Bonheur est dans le pré, Les Trois Frères, Le Fabuleux destin d’Amélie Poulain. Sous la férule de Dominique Cabrera, elle peut aussi dévoiler un pan de son talent moins connu qu’elle exprime dans Le Lait de la tendresse humaine et Folle embellie.


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Mais le démon de la réalisation la tenaille et en 2004, Yolande Moreau franchit le pas: Quand la mer monte, qu’elle co-réalise avec Gilles Porte ravit la presse, étonne le spectateur et séduit la profession. Le film décroche le César et le Prix Louis Delluc de la meilleure première œuvre. Yolande Moreau, elle-même, récolte un César de la meilleure actrice pour son interprétation subtile et émouvante.

Ce succès ne l’empêchera pas de se remettre aux services de divers metteurs en scène: on la voit dans Bunker Paradise ou Le Couperet; elle rejoint Albert Dupontel pour Enfermés Dehors, Catherine Breillat qui tourne Une vieille maîtresse, Jean-Michel Ribes pour Musée Haut Musée Bas puis aborde l’autre grand rôle de sa vie: Séraphine de Senlis dans le chef d’œuvre éponyme de Martin Provost qui va régenter les Césars 2009 en empochant sept statuettes, un score incroyable. Naturellement, Yolande Moreau y hérite d’un deuxième titre individuel en cinq ans.


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Tout s’enchaîne très vite, l’actrice est définitivement une vedette. Peut-être la vedette la plus atypique du cinéma francophone. Unique, émouvante, formidable, elle recherche constamment les défis. Aux côtés de notre Bouli Lanners national, elle est une ouvrière révolutionnaire dans l’explosif Louise Michel de Benoît Delépine et Gustave Kervern qu’elle retrouvera dans le monumental Mammuth. Entre-temps, elle incarnera une mémorable Fréhel face à Serge Gainsbourg (vie héroïque).

Avant de tourner à nouveau avec Martin Provost, son réalisateur de Séraphine pour Où va la Nuit, elle prendra même la tête d’un groupe de… Goules dans La Meute, film d’horreur français au casting incroyable: Émilie Dequenne, Benjamin Biolay, Philippe Nahon et… Matthias Schoenaert.

Naturellement, Yolande Moreau ne laissera pas sans suite la belle histoire commencée derrière la caméra avec Quand la mer monte. Elle a récemment tourné Henri, un premier long métrage en solo. Du coup, elle a renoncé à jouer, pour se concentrer sur son nouveau défi.

Cette femme imprévisible évite tous les clichés, toutes les attentes, toutes les redites. Tous les pièges aussi. Sa carrière, en marge et néanmoins au cœur du système, est exemplaire à plus d’un titre. Que le public et la profession s’en soient aperçus aussi vite et lui montrent aussi généreusement leur amour n’en est que plus formidable !
Qu’elle préside cette 3e Cérémonie des Magritte du Cinéma est une chance et un honneur